Propos recueillis par Julie Clarini (Le Monde des Livres)

Quels vont être les moments forts de cette année du centenaire ?

L’un des éléments les plus neufs sera l’ensemble autour de Barthes et le cinéma, proposé à la fois par le Centre Georges-Pompidou, l’Ecole normale supérieure et la salle du Champollion, à Paris. Barthes avait un rapport à la fois conflictuel et très intense au cinéma, peu analysé. L’autre chose dont j’attends beaucoup, c’est l’exposition de la Bibliothèque nationale de France, dont je suis pour partie responsable. Le mode d’exposition choisi n’aura rien de didactique ; il aura comme visée de mettre en spectacle non seulement la conception que Barthes avait de l’écriture, mais aussi son écriture même, dans un déploiement concret, matériel, sur de grands panneaux, des sortes de dazibaos avec des citations.

Et puis il y aura beaucoup d’autres choses, certaines plus classiques, comme Barthes et la musique, d’autres plus surprenantes, comme ce que prépare Magali Nachtergael, au FRAC Aquitaine, « Lumière de Roland Barthes ». Ce sera une sorte d’improvisation à partir du rapport de Barthes à l’art contemporain. L’exposition accueillera notamment l’artiste Vincent Meessen. Ce qui me séduit, c’est que, alors que je redoutais l’idée du ­centenaire, c’est un Barthes très contemporain qui va apparaître, un Barthes au présent.

Quelle est la postérité de l’œuvre ? Est-ce le premier Barthes ou celui des dernières œuvres qui focalise ­l’attention ?

Barthes a une image un peu confuse, aujourd’hui. Les publications posthumes, Journal de deuil, notamment [Seuil, 2009], ont eu tendance à accentuer chez lui une dimension intimiste, mélancolique, solitaire, finalement un peu en deçà de ce qu’a été son projet. Et puis, le travail qui s’est effectué sur Barthes ces dernières années est allé dans des directions très contradictoires, entre un Antoine Compagnon qui voit dans Barthes un « antimoderne » et des gens comme Thomas Clerc, Magali Nachtergael, Tiphaine Samoyault qui s’intéressent à un Barthes profondément moderne… Cela a aussi participé à brouiller son image. Je crois que Barthes, contrairement à des gens comme Foucault, Deleuze, par exemple, qui ont donné lieu à une vulgate extrêmement monolithique, a laissé une image inverse, plutôt troublée, équivoque, pas très lisible, au fond. C’est sans doute dommage, mais ça le préserve aussi de la simplification.

Pour autant, ce que je regrette profondément, et qui est pour moi un symptôme du XXIe siècle, c’est cette séparation qui s’opère entre le champ philosophique et le champ littéraire. Les philosophes ne lisent pas du tout Barthes. Et même, c’est inouï, les recherches sur le genre, les « gender » ou « queer studies », ne prêtent pas attention au fait que Barthes a fait du « neutre » un concept fondamental, qui a comme idée de déranger les identités sexuelles. Ce côté Barthes littéraire pour les littéraires appauvrit à la fois les philosophes et Barthes lui-même. Mais c’est une chose d’époque, il y a un retour aux disciplines, un retour aux catégories, à l’arrogance des disciplines les unes par rapport aux autres.

Dans un texte de 2000, vous classiez Barthes dans une généalogie ­ (Montaigne, Sartre, Diderot), celle des écrivains inclassables.

Barthes poursuit une tradition qui est celle de l’essayisme. Lui-même s’intitule « essayiste ». Cela va à nouveau dans le sens de défaire les classements : dès Le Degré zéro de l’écriture [Seuil, 1953] et même avant, Barthes estimait que l’époque, l’après-guerre, nécessitait de refuser le compartimentage du champ intellectuel entre écrivains, intellectuels, professeurs… Pour Barthes, la mythologie, c’était l’étiquette, et la contre-mythologie, c’était de pouvoir opérer des translations entre modes d’écriture, entre disciplines. Par exemple, Barthes n’a jamais été un romancier, mais il y a du roman dans beaucoup de ses œuvres. Il n’a jamais été un philosophe, mais il y a de la philosophie dans beaucoup de ses livres. C’était une position un peu inconfortable, mais à laquelle il tenait.

Vous publiez au mois de mai un album dans lequel il y aura des inédits…

Sa substance, et la vraie découverte, c’est Barthes épistolier. Au départ, je pensais surtout aux inédits. Certains sont amusants, comme le rapport que fait Barthes, en 1949, auprès du ministère des affaires étrangères, sur l’état politique de la Roumanie. Mais c’est la correspondance qui s’est imposée. Elle permet de faire la cartographie d’une vie. Ce qui m’a le plus touché, ce sont les lettres de jeunesse, disons de l’adolescence à la fin du sanatorium, où il passe de longues années pendant la guerre. C’est un Barthes avant Barthes, très seul, très isolé, dans la nuit de la tuberculose. Finalement, cette correspondance, c’est un peu le temps retrouvé, des choses sont exhumées du passé, toutes pures.

Y a-t-il encore beaucoup d’inédits ?

Je n’ai pas reproduit la totalité de la correspondance dans cet album. Pour le reste, je crois qu’on arrive à la fin. Mais on ne sait jamais !